Conférence européenne sur les NBT : résumé du deuxième atelier sur l'articulation entre biotechnologies et changements sociétaux

Jeudi 28 septembre 2017, à l’initiative de la Commission européenne, se tenait à Bruxelles une conférence de haut niveau sur le thème « Biotechnologies modernes en agriculture : ouvrir à la voie pour une innovation responsable ». Réunissant des experts issus de milieux variés, elle s’est divisée, en plus d’une introduction, en trois ateliers. Le premier atelier était centré sur la recherche et l'innovation responsables.

 

L'article suivant retranscrit les propos tenus lors du deuxième atelier, sur le thème « Biotechnologies modernes en agricultures et changements sociétaux : saisir les opportunités et répondre aux préoccupations ».

 

Cet atelier réunissait : l’Irlandais Phil Hogan, commissaire européen pour l’agriculture et le développement rural ; l’eurodéputé italien Paolo de Castro ; l’eurodéputée française Angélique Delahaye ; le coordinateur de la Via Campesina Guy Kastler ; le Britannique Nigel Moore, président de l’association européenne des semences; l’Allemand Jan Plagge, le président d’IFOAM Europe et la Danoise Camilla Udsen, conseillère en politique alimentaire du conseil danois des consommateurs.

Conférence de haut niveau sur les biotechnologies végétales, le 28 septembre à Bruxelles

Conférence de haut niveau sur les biotechnologies végétales, le 28 septembre à Bruxelles

Ce deuxième atelier a été introduit par Phil Hogan, qui commence par rappeler le grand défi auquel est confrontée l’agriculture : augmenter la productivité globale de 70% afin de nourrir 9 milliards d’êtres humains d’ici 2050. Cet objectif établi, il convient de savoir « qui va le remplir et comment », sachant qu’il faudra, en parallèle, tenir compte des objectifs en termes de développement durable et, surtout, de la situation économique des agriculteurs.

 

Pour cela, Phil Hogan considère que les agriculteurs doivent « disposer des compétences et des outils nécessaires », alors que leur situation est très diversifiée en Europe (méthodes de production, conditions climatiques, etc.). Résolument optimiste vis-à-vis des new breeding techniques, du moment qu’il existe « des normes sanitaires et de sécurité élevées », le commissaire européen s’étonne de la faible utilisation des biotechnologies dans le milieu agricole, alors qu’elles sont largement répandues dans le secteur de la santé. En outre, il rappelle que les NBT devraient permettre de « réduire l’impact environnemental » en diminuant l’utilisation d’intrants.

 

Guy Kastler, coordinateur de la Via Campesina (le plus grand mouvement paysan à l’international), revient sur les deux défis évoqués par Phil Hogan : « nourrir le monde » et « réduire l’impact environnemental ». Selon lui, les NBT ne sont pas une solution car le problème ne vient pas de la production alimentaire elle-même mais de sa mauvaise répartition entre pays riches et pays du Sud. Il dénonce également le gaspillage alimentaire induit par les « usines à viande », où des champs sont utilisés pour nourrir des bêtes plutôt que pour nourrir des hommes. Concernant l’impact environnemental, il juge également que la solution ne vient pas des NBT mais d’un « retour des paysans dans les champs », qui par leur travail manuel, permettrait de réduire l’utilisation d’engrais chimiques et la mécanisation.

 

À sa suite, Camilla Udsen évoque le « scepticisme énorme des consommateurs », qui établissent un parallèle avec les anciennes techniques et leurs promesses. Il faut, selon elle, respecter ces préoccupations et prendre d’avantage en compte « la protection des consommateurs » et un peu moins la concurrence internationale (sujet déjà évoqué lors du premier atelier et le risque de voir l’Europe devenir le « musée de l’obtention végétale »).

 

Au cours d’une intervention à la fois pragmatique et directe, l’eurodéputée et agricultrice Angélique Delahaye avance : « le changement climatique est là, il faut faire avec et trouver le moyen de donner aux agriculteurs des armes pour produire en utilisant moins de produits phytosanitaires, en permettant d’avoir des plantes qui résistent mieux ».

 

Si elle reconnaît que « rien n’est sans risque », elle dénonce l’approche binaire adoptée par Guy Kastler et s’interroge sur les raisons pour lesquelles on refuse aux agriculteurs ce qui est accepté pour les médicaments.

 

La tradition n’est autre qu’une innovation qui a bien réussi

Paolo De Castro, eurodéputé italien

 

Lui aussi optimiste par rapport aux NBT, Paolo De Castro met en avant des techniques d’hybridation nouvelles qui « exploitent ce qui naturellement se passe par le biais de croisement ». Il ne s’agit, pour le député européen, que « d’accélérer un parcours ». Le fait qu’il n’y ait plus de déplacement de gènes d’une espèce à une autre mais seulement au sein d’une même espèce devrait naturellement « éliminer une partie des angoisses des consommateurs ».

 

Il évoque ensuite les variétés de vignes, obtenues grâce à ces techniques, qui résistent mieux à deux « énormes fléaux, dont l’oïdium », puis interroge (de façon rhétorique) sur le nombre de tonnes de produits chimiques économisées grâce à cette avancée. Il conclue en rappelant que l’innovation et la tradition ne sont pas opposées, mais que « la tradition n’est autre qu’une innovation qui a bien réussi ».

 

Vient ensuite Jan Plagge, qui s’interroge sur la notion d’innovation, « perçue différemment selon les personnes ». Pour le vice-président d’IFOAM Europe, l’innovation à tout prix ne doit pas être un but et ne fait pas nécessairement avancer l’humanité. Il prend pour exemple les fermes usines, considérées comme une innovation par certains mais jugées inutiles par les agriculteurs bios. Il doit selon lui exister des limites à ne pas franchir, comme la manipulation génétique, dont il « ne veut pas ». Il ne s’agit pas, précise-t-il, de refuser l’innovation, mais de miser sur des innovations qui ne pensent pas seulement « à un grand salut qu’on nous a promis » (ici la capacité à nourrir le monde grâce aux NBT).

 

Dernier panéliste de ce premier tour de table, Nigel Moore insiste sur la nécessité de prendre en compte l’aspect temporel lorsque l’on parle de technologie. En effet, il faut environ dix ans entre la création d’une nouvelle espèce et sa commercialisation, soit un décalage de dix ans entre le besoin des agriculteurs et des consommateurs, et la disponibilité d’une variété. Pour le président de l’association européenne des semences, les nouvelles biotechnologies pourraient diminuer les procédés et ainsi bénéficier à la société dans son ensemble.

 

"Comment parvenir à un choix rationnel sur les NBT ?"

 

Pour Camilla Udsen, il faut avant tout que le choix se base sur la transparence, en incluant toutes les parties prenantes. Il faudrait un dialogue et non pas une simple discussion du haut (politiques et scientifiques) vers le bas (consommateurs) en considérant que les « consommateurs n’ont pas de capacité de réflexion ». Ces propos font écho à ceux de Martin Häusling lors du premier atelier, qui considère que la décision ne doit pas être prise par la seule sphère scientifique mais en concertation avec l’opinion publique.

 

En réponse, Nigel Moore souligne le biais que peut représenter cette inclusion de la société dans le processus décisionnel : « en tant qu’entreprise on ne peut pas se contenter qu’un produit soit diabolisé sur des bases irrationnelles ».

 

Les agriculteurs, comme toutes les autres catégories socio-professionnelles, ont droit à la modernité, à l’innovation.

Angélique Delahaye, eurodéputée française

 

Angélique Delahaye abonde dans le même sens en évoquant « la complexité du consommateur », qui rejette par exemple un légume biscornu lorsqu’il se trouve en grande surface au milieu de légumes standardisés, mais l’achète volontiers lorsqu’il se trouve sur l’étal d’un marché. Soucieuse de permettre aux agriculteurs, « comme toutes les autres catégories socio-professionnelles », d’avoir droit à la modernité et à l’innovation, la députée européenne entend se battre pour que l’innovation « ne soit pas antinomique avec la tradition ».

 

Opposé au principe d’innovation à tout prix, Jan Plagge s’interroge sur l’apport des manipulations génétiques et rappelle l’étude parue dans Nature concernant les effets hors cible. En réponse, Paolo De Castro estime que « l’amélioration génétique a été à la base de ce siècle » et que personne ne peut nier qu’elle a permis « les plus grands succès en agriculture ». Il déplore ensuite que l’Europe, contrairement au Canada, à l’Argentine, au Brésil et aux États-Unis, se préoccupe autant de l’avis des consommateurs pour des sujets scientifiques.

 

Le débat s’oriente ensuite sur l’étiquetage des produits issus des biotechnologies végétales ainsi que sur la cohabitation entre les différents types d’agriculture. Mais cette partie du débat paraît assez stérile, avec de nombreuses redites. À retenir toutefois le dernier échange entre Guy Kastler, qui dénonce des techniques « contre nature », et Angélique Delahaye, qui appelle à « re-baser nos raisonnements sur la science » et à ne pas transformer le principe de précaution en « un principe d’inaction ».

 

Voir aussi :

Résumé du premier atelier.

Résumé du troisième atelier.

 

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