Conférence européenne sur les NBT : résumé du premier atelier sur la recherche et l'innovation responsables
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Jeudi 28 septembre 2017, à l’initiative de la Commission européenne, se tenait à Bruxelles une conférence de haut niveau sur le thème « Biotechnologies modernes en agriculture : ouvrir à la voie pour une innovation responsable ». Réunissant des experts issus de milieux variés, elle s’est divisée, en plus d’une introduction, en trois ateliers. Cet article retranscrit les propos tenus lors du premier atelier, sur le thème « Favoriser une recherche et une innovation responsables dans les biotechnologies modernes : comment en tirer des bénéfices pour l’Union européenne ».
Ce premier atelier réunissait : les Britanniques John Bell, directeur de la bioéconomie à la direction générale Recherche et innovation de la Commission européenne, et Julian Kinderlerer, professeur émérite en droit de la propriété intellectuelle ; Martin Häusling, eurodéputé vert allemand ; l’Allemande Ricarda Steinbrecher, membre du board de l’ENSSER (European Network of Scientists for Social and Environmental Responsibility); le Polonais Janusz Bujnicki, professeur de biologie et membre du Scientific Advice Mechanism (SAM) ; les Néerlandais Arjen Van Tunen, PDG de l’entreprise de biotechnologie Keygene et Roald Van Noort, président de CRV Holding.
« Comment redonner une santé à la planète et aller de l’avant dans la bioéconomie ? »
(Les questions, qui peuvent être suggérées par le public, sont posées par l’animateur)
Le premier atelier a été introduit par John Bell, qui rappelle les imbrications entre les domaines scientifique, politique et sociétal. Alors que le politique fixe des orientations, comme la réduction de l’empreinte carbone ou des pertes alimentaires d’ici à 2030, la science doit lui apporter des solutions. Dans le cas des nouvelles biotechnologies végétales, c’est le travail du SAM qui aide les politiques à « façonner une science responsable ». Un travail d’autant plus important à l’heure « de la post-vérité » et des risques de manipulation : il s’agit également de rassurer la société sur des sujets pointus qui « échappent à la compréhension générale ».
Première question posée aux différents panélistes comment « redonner une santé » à la planète et « aller de l’avant » dans la bioéconomie ? Arjen Van Tunen cite la mutagénèse, capable de produire des fruits et légumes résistants à la sécheresse. Mais il faut encore « traduire ces avancées théoriques en applications concrètes », pour les agriculteurs et les consommateurs. Le PDG de Keygene déplore cependant que certaines new breeding techniques (NBT) « sûres, précises et abordables » ne puissent pour l’instant pas être utilisées.
Le travail du SAM aide les politiques à façonner une science responsable à l'heure de la post-vérité
Toutefois, Martin Häusling est plus réservé. Il cite l’exemple des plantes résistantes au glyphosate, qui n’ont selon lui « rien apporté à l’alimentation mondiale » et comportent des « risques » non prévus à l’époque, notamment les brevets (utilisés à des fins financières et « d’appropriation du vivant »). L’eurodéputé s’estime même heureux que l’Europe n’ait pas suivi les Américains en matière de transgénèse, dont les conséquences aujourd’hui seraient « bien plus mauvaises que ce que l’on pouvait imaginer ». En tant qu’homme politique, Martin Häusling estime nécessaire de mettre en balance risque et utilité. Or, il reproche un manque de transparence dans la recherche, ne permettant pas d’évaluer de façon certaine les risques.
Ricarda Steinbrecher a également rappelé son attachement à l’évaluation des risques, mais note que les NBT ne sont « pas nécessairement sûres et pas nécessairement dangereuses non plus ».
Ce premier tour de table est ponctué par Janusz Bujnicki, qui juge nécessaire de se pencher sur les besoins de la société pour savoir ce que la science peut apporter. Il souligne en effet que les nouvelles techniques, en particulier les techniques d’édition génétique, sont surtout le fruit de découvertes basées « sur la curiosité humaine, et non sur des objectifs de recherche prédéfinis ».
« En quoi la transparence sur l’évaluation des risques des NBT pourrait-elle affecter leur usage futur ? »
Dans ce contexte, la question de la transparence dans la recherche sur les nouvelles biotechnologies végétales est jugée centrale. Pour Janusz Bujnicki, cette transparence est absolument fondamentale, puisqu’elle fait office de pont entre le monde scientifique et le monde politique « où les décisions sont prises ». Pour le professeur de biologie, il faut toujours comparer les anciennes techniques avec les nouvelles, évaluer les risques et voir si cela vaut la peine d’utiliser de nouvelles techniques.
Julian Kinderlerer rappelle qu’un document sur la filière agricole, rédigé il y a dix ans par le « Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies », reprend exactement les termes employés par Janusz Bujnicki. Ce document préconise de faire des évaluations d’impact pour toute nouvelle biotechnologie agricole, en prenant en compte les risques, les bénéfices et aussi « le rapport risques/bénéfices de NE PAS utiliser une nouvelle technique ». Et, en dernier lieu, il convient d’être « ouvert et transparent sur le résultat ». Pourtant, malgré ce constat, rien n’a évolué depuis dix ans en Europe. À l’inverse, il rappelle que toute une série d’acteurs dans le monde utilisent ces nouvelles techniques, notamment pour l’alimentation animale, sans qu’il n’y ait, à sa connaissance, « d’aspect négatif pour l’être humain ».
L’Europe doit adopter une directive, au risque de se transformer en musée de l’obtention végétale si les NBT ne sont pas autorisées
À sa suite, Arjen Van Tunen s’intéresse à l’impact de la mutagénèse, qui permet de changer « une petite lettre sur 100 milliards de lettres ». Alors, interroge-t-il, si l’on compare cette petite lettre aux millions de mutations qui existent dans la nature, « pourquoi ne pas autoriser à changer cette petite lettre ? ». Selon lui, l’Europe doit adopter une directive, au risque de se transformer en « musée de l’obtention végétale » si les NBT ne sont pas autorisées, avec des conséquences préjudiciables aussi bien pour l’agriculteur que pour le consommateur.
Attachée au principe de précaution, Ricarda Steinbrecher estime que s’intéresser aux seuls bénéfices des NBT est insuffisant, car des plantes peuvent être plus fortes dans un domaine (résistance à la sécheresse, aux maladies), mais plus faible dans un autre. L’évaluation des risques (effets secondaires) doit donc être la seule grille d’analyse. Alors que le principe de précaution est considéré comme un obstacle par certains, Ricarda Steinbrecher estime au contraire qu’il s’agit d’un « propulseur », car il offre des garanties et aide à développer uniquement ce qui est considéré comme sûr.
Martin Häusling se révèle quant à lui très critique envers le milieu scientifique, qui aurait tendance à dire : « les hommes politiques doivent faire confiance à la Science, avec un S majuscule ». Mais, selon lui, cette science en laquelle il peut avoir confiance « n’existe pas ». Pour Martin Häusling, il est nécessaire d’écouter les opinions de tous, et pas uniquement celles du milieu scientifique. En tant qu’homme politique, il rappelle d’ailleurs l’impossibilité d’introduire quelque chose contre l’avis de la société : « l’opinion publique européenne est très critique. Si ce n’est pas accepté par l’opinion publique, les scientifiques peuvent toujours beaucoup se fatiguer. Pas besoin de dépenser des millions, ça ne suivra pas ».
« Le processus décisionnel de l’UE ne suit pas la piste de l’innovation : ne faudrait-il pas améliorer la vitesse de prise de décision et la qualité de ces décisions pour la prochaine vague d’innovations ? »
La question suivante porte sur le processus de décision européen concernant la prise en compte de l’innovation. Fataliste, John Bell évoque une « crise de l’innovation en Europe ». Il ne fait pas référence ici à un manque de créativité au niveau de la recherche sur les NBT et les nouvelles technologies, mais au fait que l’Union européenne n’ait pas encore trouvé « la meilleure façon d’intégrer l’innovation dans le processus décisionnel ».
Pour Julian Kinderlerer, la lenteur institutionnelle vient aussi de la complexité de l’évaluation des risques et des avantages. Dans l’agriculture par exemple, les milliers de nouvelles variétés commercialisées sont achetées en fonction des avantages qu’y trouve l’agriculteur, lesquels sont différents des avantages du consommateur. Or, le rôle du législateur est justement de tenir compte des deux.
« N’est-il pas non-éthique de ne prendre en compte que les risques et d’ignorer les bénéfices potentiels ? »

Pour répondre à cette nouvelle question, Arjen Van Tunen est le premier à s’exprimer. En tant qu’industriel (PDG de l’entreprise Keygene), il est de sa responsabilité de démontrer aux consommateurs et aux agriculteurs « les avantages qu’il peut développer pour eux ». Pour illustrer son propos, il montre à l’assistance un pneu de vélo… le premier fabriqué à partir de caoutchouc extrait d’une racine de pissenlit.
Cependant, il explique que cette méthode n’est pas commercialement viable, du fait de la petitesse du pissenlit et de son faible apport en caoutchouc. Les NBT doivent permettre d’augmenter les rendements et de développer ce moyen de production. Cela permettra de « réduire le recours au pétrole » (pour le caoutchouc de synthèse) et de « ralentir la déforestation en Asie » (première source de caoutchouc naturel). Mais, pour développer des nouvelles cultures de pissenlits riches en caoutchouc, l’industrie a besoin de « rapidité, de précision, de prévisibilité ». Et, pour cela, elle a besoin de « CRISPR-Cas9 et de la mutagénèse, qui permettent des mutations qui peuvent également se produire dans la nature ».
Roald van Noort abonde dans le même sens et cite en exemple l’amélioration de la santé des porcs grâce à CRISPR-Cas9. En tant que président de CRV Holding (spécialisée dans l’amélioration génétique des troupeaux), il s’inquiète du risque d’être dépassé par des concurrents étrangers si la législation européenne n’évolue pas. Il interpelle notamment l’audience sur les priorités de l’Union européenne : veut-elle gagner en compétitivité et créer des emplois dans l’agriculture ou bien seulement nourrir sa population ?
« Comment faire en sorte que les coûts n’empêchent pas les PME de se positionner sur le marché ? »
Roald Van Noort rappelle tout d’abord qu’une mesure a été lancée il y a peu pour aider les PME en termes de financement. En outre, il suggère que ces PME se positionnent en satellite des grands groupes afin de les aider sur des problématiques précises. Troisième piste : le recours à des fonds d’investissements pour développer leur activité.
Au contraire, Martin Häusling se montre dubitatif sur la capacité des PME à se positionner (ou rester) sur le marché des biotechnologies végétales, notamment en raison du coût des brevets. Cependant, le député européen rappelle que les NBT ne sont pas, pour lui, une solution miracle à l’agriculture. Il conviendrait plutôt d’améliorer le quotidien des petits agriculteurs, non pas par « une agriculture de précision, de technologie », mais avec des techniques agricoles et du meilleur matériel.
John Bell avance au contraire que les problèmes agricoles ne peuvent pas se résoudre en se focalisant uniquement sur les petits agriculteurs et qu’il faut « une pluralité de solutions, adaptées à chaque problème ». En Afrique, où il a travaillé, John Bell estime que les solutions passent par un meilleur accès à l’eau par exemple, mais les nouvelles biotechnologies peuvent aussi permettre de résoudre des problèmes de nutrition. Dénonçant une vision trop manichéenne, il exhorte à aller « au-delà du mécanisme ‘ou blanc ou noir’ » au sujet des NBT.
Enfin, deux questions ont été adressées au public au moment des questions réponses. Sur 193 répondants, 79% considèrent que les biotechnologies devraient jouer un rôle grandissant dans l’agriculture européenne au cours des 20 prochaines années. Quant à savoir si elles joueront effectivement ce rôle, les avis sont plus nuancés (45% sont d’accord, 39% hésitants).
Voir aussi :
Résumé du deuxième atelier.
Résumé du troisième atelier.