L’éthique, élément fondamental à l’utilisation des NBT
-
Les NBT, et particulièrement CRISPR-Cas9, ont fait l’objet d’une réflexion approfondie par les sages du comité éthique commun de l’Inra, du Cirad et d’Ifremer, présidé par le généticien Axel Kahn. Leurs observations et recommandations ont été rendues publiques le 28 mars.
Plutôt que de se concentrer sur les « risques » liés aux nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes, finalement jugés peu nouveaux, « abstraits » et incertains, le comité éthique a préféré s’intéresser à la manière dont les NPBT sont susceptibles d’influencer les modèles agricoles et la société au sens large.
Deux conceptions alternatives de la sélection variétale
L’avis commun des principaux instituts de recherche agricoles se distingue par sa faculté à expliciter deux modèles de pensée, le plus souvent concurrents sur ce qu’est la sélection variétale.
D’un côté, une vision analytique, objectiviste de la Nature. Elle a le mérite de permettre d’établir des causalités (le lien entre l’expression d’un gène et une fonction), mais tend à faire abstraction des interactions avec l’environnement. Cette approche fonctionnaliste a toutefois été nuancée au cours des dernières décennies par l’émergence de l’épigénétique et de l’écologie (au sens scientifique du terme).
De l’autre, une vision holistique, symbolique de la Nature. Cette approche considère un être vivant (plante, animal, humain…) comme une « totalité ». De sorte, celui-ci n’est pas conçu comme une somme de fonctions, mais comme un tout cohérent et s’intégrant dans un système.
Ces deux visions s’opposent dans le débat toujours en cours au sein de l’Union européenne du statut des NBT. Faut-il se baser sur le procédé d’obtention d’une variété ou bien sur la variété elle-même, ses traits particuliers (son phénotype) pour l’autoriser ou l’interdire ?
La vision holistique met l’accent sur un principe radical d’opposition de la Nature et de l’Homme : l’aspect naturel disparaît à la suite de l’intervention de l’homme. La vision analytique, dans ce cas plus nuancée, invite à s’interroger sur les objectifs de la sélection.
Au lieu de juger irréconciliables ces deux visions, le comité éthique en note les intérêts et limites mutuels. En pratique, la sélection variétale, qu’elle se fasse par des techniques « traditionnelles » ou « nouvelles », suit en effet le même cheminement. D’abord la création de la variété en milieu contrôlé pour éviter qu’elle se croise avec d’autres (stabilisation et sélection des traits recherchés), puis le test en champ pour vérifier qu’elle se comporte bien avec son environnement. A cet égard, les auteurs de l’avis rappellent une vérité de terrain essentielle : « il n’y pas de variétés idéales mais des variétés optimales adaptées à des milieux précis, aussi bien naturels que techniques, économiques ou culturels ».
Ces deux conceptions de la sélection ne sont donc que des projections d’une même réalité et pratique.
L’agroécologie comme point de convergence ?
Depuis plusieurs années, l’Inra, le Cirad et l’Ifremer ont marqué leur volonté de soutenir la recherche en faveur de l’agroécologie, conscients des défis environnementaux et des attentes de la société française. Cependant, le comité éthique prend soin de rappeler que ce concept « ne correspond pas encore à un ensemble théorique et pratique pleinement stabilisé ». A l’instar des deux approches de la sélection variétale, deux grandes tendances se distinguent pour définir l’agroécologie.
La première consiste à « favoriser une approche systématique de l’agronomie qui vise à comprendre et maîtriser les interactions entre organismes au sein des écosystèmes ». La seconde, en plus des interactions avec l’environnement, ajoute des dimensions sociales, politiques, symboliques à l’activité agricole.
De fait, il faut se poser « la question de l’intégration d’une technologie dans un modèle et des pratiques agricoles ». Par exemple, les sages notent que la technologie peut aussi bien réduire qu’enrichir la biodiversité agricole (nombre de variétés et d’espèces cultivées). La question n’est pas tant celle des techniques de sélection que de la finalité de la sélection : une uniformisation des cultures, ou au contraire une diversification ? Cela dépend du modèle agricole, pas de la technique employée.
Dans une approche d’agroécologie centrée sur l’environnement, l’utilisation des NBT sous l’angle « analytique » apparaît « pleinement compatible », car elles sont susceptibles d’« apporter des réponses adéquates aux problèmes environnementaux actuels (par exemple : changement climatique ou pollution) ».
En revanche, l’agroécologie mêlant social, politique et symbolisme complexifie grandement la recherche de solutions agronomiques et génétiques, tant le nombre de variables à prendre en compte pour respecter cette vision sont nombreuses et contraignantes.
La question des aspects socio-politiques et autres (et donc des priorités et des règles à respecter pour les satisfaire) n’est toutefois pas écartée par les sages. Pour eux, il s’agit au contraire d’un moyen de poser le débat sur les NBT. Ils souhaitent en effet « ouvrir la recherche à la société » et « ouvrir les systèmes d’évaluation des innovations », tout en donnant le temps à la recherche d’avancée à son rythme.
Ils soulignent ainsi que les chercheurs doivent « tenir compte des conséquences qui sont susceptibles de découler de l’utilisation de ces techniques ». De cette manière, les membres du comité éthique mettent en évidence que l’accueil et l’utilisation des avancées scientifiques et les technologies qui en découlent dépendent des objectifs et des critères fixés.
A défaut de trancher tous les débats sur les NBT, la lecture de ce rapport éclaire sur l’importance des visions qui s’opposent ou dialoguent sur l’avenir de l’agriculture. Les auteurs sont toutefois conscients qu’« il ne faut pas s’attendre à ce que le débat public conduise rapidement à une solution consensuelle ».
Suivre l'actualité des NBT sur Twitter