L’Académie d’Agriculture s’interroge sur l’avenir des nouvelles biotechnologies
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Le 22 novembre, l’Académie d’Agriculture de France a organisé un colloque consacré à l’avenir des nouvelles biotechnologies dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation. Réunissant des chercheurs de l’INRA, du privé, des élus parlementaires et des créateurs de « jeunes pousses » innovantes, la rencontre se donnait pour objectif de décrire le champ des possibles.
De nombreux usages pour les agriculteurs et les consommateurs
Dès l’entame de la journée, Agnès Ricroch, directrice de recherche à l’université Paris-Orsay, a souligné que les biotechnologies font déjà partie du patrimoine gastronomique français : sans elles, point de fromage ! En effet la présure fromagère, indispensable, est principalement issue d’une moisissure modifiée : l’aspergillus niger. Sinon, les enzymes (la « caillette ») doivent être extraites des estomacs des veaux, une solution insuffisante pour répondre à la demande et incompatible avec le régime végétarien.
Pour la chercheuse, les biotechnologies ont des intérêts dans de multiples domaines : renforcement de la sécurité alimentaire et sanitaire, préservation de la Nature, transition énergétique, création de nouveaux emplois… Ces avancées scientifiques ont déjà été utilisées pour une grande variété de projets : blé sans gliadine (« gluten-free »), épinard résistant au mildiou (plus besoin de cuivre ou de soufre, en conventionnelle comme en agriculture biologique), champignon de Paris qui ne brunit pas (limitation du gaspillage alimentaire).
Ces nombreuses possibilités sont confirmées par Michel Arbadji, un des responsables de Calyxt, la filiale spécialisée dans l’alimentation de l’entreprise Cellectis. Cette dernière est connue pour avoir mis au point un traitement expérimental qui a déjà sauvé des enfants leucémiques. Avant fin 2018, Calyxt va lancer aux États-Unis un soja à haute teneur en acide oléique, car celle-ci réagit mieux aux fortes chaleurs (friture) et ne rancit pas. On peut donc utiliser cette huile plus longtemps et sans que le corps humain n’absorbe de graisses trans, mauvaises pour la santé. L’entreprise compte également cultiver d’ici 2020 un blé riche en fibres, réduisant les risques de cancer du côlon.
Les avancées des biotechnologies ne concernent pas que les végétaux directement. Elles peuvent aussi influer sur la manière de les cultiver. Au moment où l’opinion publique demande de réduire au maximum l’utilisation des pesticides, la recherche d’alternatives devient une priorité. Emmanuelle Jacquin, directrice de recherche à l’INRA-Versailles spécialiste des insectes, met en avant le potentiel des biotechnologies pour développer le biocontrôle (par exemple des phéromones capables de tromper les parasites) ou pour réduire les populations de ravageurs grâce aux techniques de gene drive (stérilisation ou réduction des capacités de reproduction ou de nutrition).
Parmi les jeunes entreprises innovantes invitées, MicroPEP et Olmix développent des biostimulants capables de renforcer les résistances ou la pousse des plantes cultivées. Il n’est donc plus question de s’intéresser uniquement à la génétique, mais aussi à l’épigénétique et comment elle peut améliorer les techniques agronomiques.
En Europe, un dépérissement de la recherche
Constat amer pour de nombreux intervenants (et d’une partie du public), la France est aujourd’hui complètement déclassée à l’échelle mondiale, alors qu’elle a été une pionnière des biotechnologies. La très grande majorité des études sont désormais publiées par des équipes américaines, chinoises ou coréennes. La jeune génération de chercheurs du Vieux continent se détourne donc de ces sujets ou préfère aller travailler à l’étranger. Dans la salle de conférence, des scientifiques plus âgés ont, eux, manifesté leur regret de l’abandon de pistes de recherche prometteuses.
Principal motif pour expliquer cette dégringolade de la recherche : un cadre réglementaire particulièrement contraignant en Europe. La décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, cet été, de classer la mutagénèse ciblée (qui englobe la plupart des NBT : CRISPR-Cas9, les TALEN, les ZFN, etc.) comme un ensemble de méthodes concernées par la directive de 2001 vient parachever l’arrêt de la recherche en Europe.
En cause, des magistrats qui se sont focalisés sur le manque supposé d’évaluation des risques, sans prendre en compte les atouts. Cité par sa collègue Mylène Durand-Tardif, Fabien Nogué (directeur de recherche de l’INRA-Versailles) a évalué qu’il aurait fallu 120 000 ans pour qu’un seul plant de tomate sur l’ensemble du globe développe naturellement (c’est-à-dire aléatoirement) une résistance contre les potyvirus. Chose que son laboratoire est parvenu à faire en l’espace de quelques années grâce aux techniques récentes.
Le constat d’un manque de dialogue
Catherine Proccacia, sénatrice Les Républicains, et Jean-Yves Le Déaut, ancien député socialiste, les auteurs d'un rapport de l'OPECST sur les nouvelles biotechnologies, ont le sentiment qu'elles sont devenues « les victimes expiatoires des politiques environnementales ». Pour les deux élus parlementaires, elles ont été sacrifiées pour des raisons d’affichage politique par les gouvernements successifs. Et cela, au détriment des bienfaits qu’elles peuvent apporter à l’environnement, à la population humaine et à la lutte contre le changement climatique.
Cet avis s’est également ressenti dans la conclusion de Jean-Claude Pernollet, directeur de recherche retraité de l’INRA et ancien conseiller scientifique du ministère de la Recherche. Plus globalement, il dresse le constat d’une perte de confiance du public à l’égard de la science et d’une égale prise en compte par les décideurs publics des opinions populaires et des faits scientifiques.
Cependant, un phénomène intéressant s’est produit au moment de la clôture du colloque : un débat spontané entre le public. Sans recouper de clivages générationnels (professeurs retraités, étudiants) ou d’expertises (biologistes, sociologues), la salle a convenu de la nécessité de faire sortir le débat sur les biotechnologies des enceintes universitaires, à commencer par celle de l’Académie. L’enjeu est ainsi de rappeler des réalités basiques : la faim, la malnutrition, le changement climatique, tout en prenant en compte le ressenti des citoyens qui ont l’impression de subir l’évolution des sciences et des technologies.
À cet égard, Jean-Yves Le Déaut, l’un des principaux architectes des lois françaises sur la bioéthique, a souligné l’intérêt d’organiser des débats dans les écoles. Ce dialogue a permis, dans le cas de la bioéthique, de faire ressortir un consensus : les dérives peuvent exister, mais les bienfaits valent la peine d’en prendre le risque.
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