CRISPR-Cas9, la précision en question

CRISPR-Cas9, la précision en question

De plus en plus employée en biologie végétale, la technique CRISPR-Cas9 est surtout connue pour son potentiel dans le domaine médical. À la fin du mois de novembre 2018, l’annonce par un scientifique chinois de la naissance de jumelles dont l’ADN aurait été modifié pour les rendre résistantes à certaines souches du VIH a suscité un tollé international. Pour l’instant, aucune preuve vérifiable n’a cependant été apportée qu’une telle chose a bien eu lieu.

 

L’importance de l’éthique à l’heure de la révolution CRISPR

 

Plusieurs raisons expliquent les réactions très négatives des chercheurs. En premier lieu, la modification du génome humain, en particulier des cellules germinales (ce qui permettra de transmettre la modification aux générations suivantes) est un débat éthique encore loin d’être tranché. En l’état, la communauté scientifique a convenu d’un moratoire sur le sujet, appuyé par la plupart des gouvernements.
En second lieu, CRISPR-Cas9 est encore une technologie jeune dont l’utilisation à des fins de modification du génome n’a été décrite qu’en 2012, par Jennifer Doudna, Emmanuelle Charpentier et Feng Zhang (les trois se disputant depuis plusieurs années la parenté de la découverte). Les conséquences potentielles inattendues pour les deux enfants (effets « hors-cible » dus à une intervention sur le génome ou un mosaïcisme cellulaire résultant d’une modification qui n’affecterait qu’une partie des cellules de l’embryon) ont donc poussé le reste des savants à s’interdire pour l’instant des expériences aussi radicales.

 

Cette question de la précision, et donc de la fiabilité, de CRISPR-Cas9 est centrale pour l’avenir des biotechnologies. Cette technique se distingue en effet par sa facilité d’utilisation et son coût très réduit, en comparaison des autres technologies d’édition de l’ADN. De fait, il y a déjà eu une « révolution » CRISPR dans le domaine de la recherche génomique : les études sur la technique elle-même ou son emploi pour d’autres expériences sur les gènes se comptent par milliers, et leur nombre suit une courbe exponentielle.

 

La connaissance scientifique, base d’une décision raisonnée de l’usage de CRISPR

 

Toutefois, une étude de chercheurs du Wellcome Sanger Institute (laboratoire britannique connu pour son rôle central dans le décryptage du génome humain) publiée dans Nature Biotechnology en juillet 2018 est venue calmer les ardeurs. Selon les analyses de Michael Kosicki, Kärt Tomberg et Allan Bradley, des évènements inattendus (mutations, délétions...) affecteraient jusqu’à plusieurs milliers de paires de bases sur des modèles animaux (cellules embryonnaires de souris) ou humains (cellules rétiniennes), en ayant recours à CRISPR-Cas9.

La publication de l’article a fait son effet et rappelé qu’une technologie émergente, particulièrement lorsqu’elle concerne la médecine, doit faire l’objet de recherches exhaustives.
Dans cette perspective, une autre étude britannique publiée dans Molecular Cell en décembre 2018 a identifié des pistes pour augmenter la fiabilité de CRISPR-Cas9. D’après une équipe de généticiens du University College de Londres, le choix de la séquence de nucléotides ciblés influencerait l’efficacité. Pour obtenir des résultats prévisibles et concluants, il s’agirait ainsi de privilégier, à des endroits précis, la recherche d’une base azotée (en l’occurrence l’adénine ou la thymine) pour améliorer grandement la capacité de la nucléase Cas9 à agir (délétion ou insertion d’ADN). Le fait d’« ouvrir » la double hélice d’ADN facilite également grandement l’opération d’identification de la séquence ciblée, et limite d’autant les risques d’un effet « hors-cible ». Ces conclusions sont fondées sur l’analyse de près de 1 500 séquences ADN ciblées via CRISPR-Cas9, issues de 450 gènes humains différents.

Bien que les végétaux aient leurs propres spécificités comparés aux modèles animaux ou humains, ces avancées dans la compréhension du fonctionnement de CRISPR-Cas9 auront des retombées aussi dans le domaine de la sélection variétale. Le niveau d’exigence extrêmement élevé nécessaire pour développer des thérapies géniques bénéficiera en effet à l’ensemble des disciplines qui utilisent CRISPR-Cas9. En outre, l’approfondissement continu des connaissances scientifiques permet déjà de préciser les usages raisonnés et fiables de la technique.

 

Les deux études citées dans cet article (également ajoutées à la page bibliographie) :

 

  • KOSICKI Michael, TOMBERG Kärt, BRADLEY Allan, Repair of double-strand breaks induced by CRISPR–Cas9 leads to large deletions and complex rearrangements, Nature Biotechnology, juillet 2018, vol 36, p. 765-771 (anglais)

https://www.nature.com/articles/nbt.4192

 

  • CHAKRABARTI Anob M. et alii, Target-Specific Precision of CRISPR-Mediated Genome Editing, Molecular Cell, décembre 2018 (anglais)

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1097276518310013

 

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