Les plantes, naturellement modifiées
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La question de ce qui est « génétiquement modifié » hante les débats de société depuis des décennies. La transgénèse fait l’objet d’un rejet massif en Europe, en particulier en agriculture. La mutagénèse, longtemps mieux lotie, est désormais sous l’épée de Damoclès d’une régulation stricte et synonyme de méfiance de la population. En cause dans les deux cas, le rôle joué par l’homme dans la modification du génome des plantes. Pourtant, les mécanismes employés sont de plus en plus fréquemment identifiés dans des espèces et variétés naturelles, résultats de transferts de gènes horizontaux entre des espèces parfois issues de règnes différents !
Le cas le plus connu est celui de la patate douce. En 2015, une université de chercheurs de l’université de Seattle a mis en évidence que cette espèce de plante a, en partie, un génome d’origine bactérienne. Au total, 291 variétés de patates douces ont été testées : toutes contenaient une ou plusieurs séquences d’ADN issues d’agrobactéries. Et ces variétés de patates douces sont cultivées tout autour du globe : Amérique du Sud (dont l’espèce est originaire), Afrique, Etats-Unis, Indonésie ou Chine. Cela conduit les chercheurs à penser que l’ADN extérieur a été incorporé chez un ancêtre commun des patates douces actuelles, bien avant l’intervention humaine de sélection.
Agrobacterium, des bactéries spécialistes de la transgénèse
La capacité des agrobacteriums à introduire leur ADN dans celui de plantes est bien connue des scientifiques. Il s’agit même de la base de l’agroinfiltration. Cette technique classée parmi les NBT consiste à insérer du matériel génétique grâce à des plasmides, des molécules d’ADN autonomes qui s’insèrent dans l’ADN chromosomique. À la différence d’autres techniques, susceptibles d’être utilisées à des étapes précoces de la multiplication cellulaire et d’affecter l’ensemble du futur sujet, l’agroinfiltration permet de modifier localement une plante déjà constituée. De sorte, l’ADN ajouté ne se transmet pas à la descendance, tant que les cellules germinales ne sont pas affectées.
L’aléa naturel a toutefois conduit à créer de véritables nouvelles espèces au travers de l’action de ces agrobactéries. En effet, en intégrant leur ADN à celui des plantes-hôtes, le but des bactéries est de créer des tumeurs, principalement au niveau des racines, qui vont fournir un environnement propice à leur développement et à leur multiplication.
En parallèle, les végétaux possèdent une capacité inconnue du règne animal : leurs cellules sont totipotentes. Pouvant se multiplier et se redifférencier, une cellule végétale peut recréer une plante entière (dans ce cas, un clone de la plante originelle).
Une racine modifiée par agrobacterium et devenue indépendante de la plante-mère n’est alors pas un clone, mais une toute nouvelle variété voire une toute nouvelle espèce de plante, une fois régénérée.
Des végétaux transgéniques partout dans la nature
L’exemple de la patate douce avait montré la possibilité d’un tel transfert horizontal de gènes entre deux organismes très différents (une bactérie et un végétal), mais de tels cas étaient présumés (très) rares. En fait, il n’en est rien.
Selon une étude publiée en septembre 2019 dans Plant Molecular Biology, il est estimé qu’un angiosperme sur vingt, c’est-à-dire les plantes à fleurs, pourrait être le résultat de ces transferts de gènes bactériens, soit plus de 15 000 espèces ! Les résultats, comme tous ceux d’études sérieuses, doivent être vérifiés et complétés, mais permettent déjà de lister une série de végétaux concernés. En plus de la patate douce, on compte par exemple parmi les cultures courantes :
- Le wasabi
- La cacahuète
- Le houblon
- Le noyer
- Le margousier (aussi appelé neem)
- L’œillet
- L’airelle (dont la canneberge)
- Le camellia (dont le thé)
- La goyave
- L’igname
- La banane
Ces différents végétaux sont donc des organismes transgéniques naturels, sans intervention de l’homme. Sur le plan scientifique, les pistes d’études ouvertes sont nombreuses. L’agroinfiltration ou CRISPR-Cas9 sont des mécanismes naturels repérés et reproduits par l’être humain. La détection de ces modifications génétiques dans des variétés sauvages ouvre des perspectives de découvertes d’autres phénomènes de transfert de matériel génétique entre organismes vivants.
La conséquence la plus évidente et la plus immédiate de cette découverte est néanmoins de questionner les divisions juridiques artificielles qui régulent actuellement l’édition génomique. Établir une législation basée sur la « naturalité » d’un phénomène devrait conduire à accepter la transgénèse et la mutagénèse, car celles-ci sont des phénomènes découverts dans la nature. Ou, au contraire, bâtir une régulation conditionnée ou non par l’intervention de l’homme entrainerait l’abandon de l’ensemble des plantes cultivées sous leur forme actuelle, puisque toutes ont été sélectionnées par l’homme (qu’il ait connu ou non les mécanismes biologiques qui ont conduit à leur évolution au fil des générations).
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