Le Conseil d’État fait reculer d’au moins 20 ans la recherche sur la mutagénèse

  • Christian V.
Le Conseil d’État fait reculer d’au moins 20 ans la recherche sur la mutagénèse

Dans son arrêt du 7 février 2020, le Conseil d’État a déterminé si certaines méthodes de mutagénèse doivent faire l’objet d’une régulation particulière, car leur emploi générerait des plantes devant être régulées comme celles obtenues par transgénèse.

 

Une différenciation juridique plutôt que scientifique des techniques de mutagénèse

 

La cour de justice administrative française considère que « les organismes obtenus au moyen de techniques / méthodes nouvelles de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption » de la directive européenne 2001/18 de mars 2001 doivent être soumis à cette dernière. En contrepartie, les variétés issues de méthodes « regardées comme ayant été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » ne sont pas concernées par cette régulation.
Le Conseil d’État considère donc que le statut des plantes dépend de l’année de mise au point et de l’état de développement de la technique utilisée par rapport à la date de publication de la directive de 2001.

 

Pour déterminer quelles méthodes sont dans la catégorie des « techniques traditionnelles », le Haut Conseil des biotechnologies (l’instance scientifique de l’État français compétente sur ce domaine) doit se prononcer dans les six prochains mois.
La tâche s’annonce ardue sur le plan scientifique. En effet, le Conseil d’État évoque la mutagénèse aléatoire in vitro, c’est-à-dire l’emploi de mutagènes sur une ou plusieurs cellules pour ensuite reconstituer une plante entière et déterminer quelles sont les conséquences de ces mutations. Cette manière de faire ne se distingue en rien de la mutagénèse aléatoire in vivo : la même technique sur la plante entière, que cela soit dû à l’action de l’homme ou de l’environnement naturel. En effet, dans les deux cas, les mutagènes agissent sur le matériel génétique des cellules de la plante. De plus, il n’est pas possible de déterminer a posteriori quelle méthode a été employée.
Il existe toutefois un avantage à la mutagénèse aléatoire in vitro par rapport à son équivalent in vivo : l’assurance que l’ensemble de la future plante dispose d’un matériel génétique homogène. En effet, sur une plante entière, le risque de mozaïcisme génétique est important : la plante sera constituée de cellules qui n’auront pas toutes été affectées par les mêmes mutations.

 

Un intérêt particulier pour les VRTH

 

Par ailleurs, le Conseil d’État prévoit des mesures spécifiques pour les VRTH (variétés rendues tolérantes aux herbicides), du fait de leur complémentarité avec l’emploi d’herbicides. L’objectif de ces plantes est de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, en ne les utilisant que s’il y a effectivement des adventices (mauvaises herbes) : la plante tolérante survit alors que les adventices disparaissent. Toutefois des études de l’ANSES (en 2019) et de l’INRA et du CNRS (2011) ont mis en évidence la possibilité qu’apparaissent des résistances chez des adventices. En outre, pour mener des études plus complètes, les institutions scientifiques souhaitent plus de données sur l’utilisation des VRTH en France.

 

En raison de ces potentiels risques et de la nécessité de collecter davantage de données, le Conseil d’État estime donc que les VRTH doivent faire l’objet d’un suivi particulier : identification de toutes les variétés concernées (quelle que soit la méthode de sélection, via mutagénèse ou autre) et détermination des conditions de culture les plus appropriées.

 

Le Conseil d’État ouvre la voie à une régulation basée sur les caractéristiques plutôt que la technique

 

La plus haute cour administrative adopte une approche singulière pour les VRTH. En effet, dans les autres cas, elle se base sur la technique d’obtention (la mutagénèse). Pour les VRTH, le Conseil d’État considère qu’il faut une régulation spéciale quelle que soit la technique utilisée, donc il se focalise sur la caractéristique particulière de la plante. Il s’agit d’une lecture juridique originale. Jusqu’à présent les législateurs français et européens se sont toujours focalisés sur les techniques. C’est le sens même de la directive 2001/18.

 

Alors que l’Union européenne a ouvert la porte à une révision de sa législation sur les biotechnologies agricoles, en discussion jusqu’à la fin 2021, la décision des juges hexagonaux pourrait s’inscrire dans cette logique. L’intérêt de réguler les biotechnologies en fonction des caractéristiques des plantes (plutôt que de la manière de les obtenir) est de permettre de mieux respecter les attentes de la société (française ou européenne), sans bloquer la recherche. En effet, il deviendrait possible de refuser l’usage de plantes résistantes aux herbicides, sans empêcher l’emploi de la mutagénèse pour créer par exemple des blés plus résistants à la sécheresse.

 

Les conséquences immédiates pour l'agriculture... et la société

 

Si à long terme, il est possible d’envisager un nouvel encadrement des biotechnologies végétales, dans l’immédiat le Conseil d’État ajoute de la confusion au méli-mélo juridico-scientifique actuel. Une application restrictive de l’arrêt va entraîner des conséquences néfastes pour tous les acteurs de la chaîne alimentaire, de la graine à l’assiette.

 

Pour les créateurs de nouvelles variétés de plantes, cet arrêt signifie que les progrès scientifiques de ces vingt dernières années ne peuvent plus être librement utilisés. Des variétés déjà commercialisées sont susceptibles d’être retirées du marché ou de devoir faire l’objet d’un long et coûteux (plusieurs dizaines de millions d’euros, selon les cas) processus d’autorisation.

 

Pour les agriculteurs, le progrès génétique constitue l’un des principaux moyens d’améliorer la qualité des plantes qu’ils cultivent, sur le plan nutritionnel ou environnemental. En effet, les techniques de mutagénèse ont notamment été employées pour créer des tournesols aux huiles de meilleure qualité pour la consommation humaine ou pour mieux adapter la culture du riz aux conditions de la Camargue. La nouvelle réglementation risque donc d’avoir un impact important aussi bien en agriculture conventionnelle qu’en agriculture biologique, ou pour les filières disposant d’un label de qualité ou d’une appellation d’origine protégée.

 

Pour les consommateurs, la plupart des légumes et fruits aujourd’hui sur les étals des magasins sont susceptibles d’être concernés par la décision du Conseil d’État. Le statut juridique des variétés de pommes de terre, pomelos, riz, blés, cerises, pêches, etc. devra être vérifié au cas par cas, tant la mutagénèse est d’un emploi courant depuis des décennies. Il est donc possible que des aliments appréciés viennent à disparaître.

 

Pour toute la société, la décision du Conseil d’État remet en cause l’un des principaux moyens de réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement : la sélection variétale. Celle-ci est essentielle pour que les plantes cultivées deviennent tolérantes ou résistantes à des ravageurs (insectes), des maladies (mildiou de la pomme de terre…) ou des conditions climatiques qui changent (sécheresse, salinisation des sols…). La nouvelle jurisprudence française va donc freiner grandement les efforts faits pour aller vers une agriculture plus vertueuse, aussi bien conventionnelle que biologique.

 

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